Dans son grand roman Cent ans de solitude, l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature 1982, imagine que le village imaginaire de Macondo où évoluent ses personnages est frappé d’un étrange fléau: la peste de l’insomnie. Du jour au lendemain, les habitants n’éprouvent plus de fatigue et le besoin de se coucher pour récupérer. Au début, ils sont heureux de profiter de toutes ces heures de vie en plus mais peu à peu, leur mémoire commence à leur faire défaut et ils oublient le nom des choses et jusqu’à leur utilisation. C’est ainsi qu’ils sont obligés d’accoler des étiquettes sur les objets et les animaux puis, au garrot de la vache, ils accrochent l’écriteau suivant: « Voici la vache, il faut la traire tous les matins pour qu’elle produise du lait et le lait, il faut le faire bouillir pour le mélanger avec du café et obtenir du café au lait. »
Avec l’intuition des grands écrivains, Gabriel Garcia Marquez en 1967 montre l’importance cruciale du sommeil pour la préservation des souvenirs.
Le rhéteur romain Quintilien constatait déjà au Ier siècle de notre ère «[ce] fait curieux, et dont la raison n’est pas évidente, que l’intervalle d’une seule nuit augmente fortement la force des souvenirs…» Ainsi, «[…] des éléments qui ne pouvaient être rappelés sur le moment, le sont facilement le jour suivant, et le temps lui-même, qui est généralement considéré comme une des causes de l’oubli, sert en définitive à renforcer la mémoire.»
Le lien entre sommeil et mémoire était déjà subodoré voire formalisé.
En 1885, Hermann Ebbinghaus, pionnier de la recherche sur la mémoire, formula cette observation : «Chaque heure passée éveillée érode nos souvenirs, tandis que dormir les préserve.»
C’est ce qu’a réussi à prouver le psychologue Nicolas Dumay à l’université d’Exeter au Royaume-Uni. Il a mené une étude sur des volontaires séparés en deux groupes. Chaque participant devait retenir des noms farfelus mais ceux qui étaient dans le premier groupe pouvait dormir pendant la nuit entre le moment de l’apprentissage et le moment de la restitution douze heures plus tard alors que le deuxième groupe devait rester éveillé. Il a constaté un net avantage pour le groupe qui n’avait pas été privé de sommeil: "Le sommeil double les chances de se souvenir de ce que l’on avait oublié. L’amélioration des capacités mémorielles après une nuit de repos semble indiquer que les contours de certains souvenirs se reprécisent pendant la nuit. Ces faits confortent la théorie selon laquelle nous passons en revue les informations que nous estimons importantes pendant que nous dormons."
Il l’explique par le fait que les souvenirs de la journée sont provisoirement stockés dans l’hippocampe et que pendant la nuit, ils passent de l’hippocampe au cortex dans une opération de révision et de consolidation.
Voilà la constatation de Quintilien validée vingt siècles plus tard.
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