Didine

Publié le 9 mai 2024 à 19:58

Il tournait comme un ours en cage dans la chambre à coucher. Le lit était jonché de vêtements jetés çà et là, empilés sans soin dans un fatras inimaginable.

 

_ Didine, Didine! Où as-tu mis mes boutons de manchettes! Didine, Didine!

Il marmonnait tout seul en maudissant l’heure que lui renvoyait le radio réveil posé sur la table de chevet.

“Mais nous ne serons jamais prêts pour le dîner à l’Opéra avec le préfet!”

_ Didine! Didine! Nadine, merde, qu’est-ce que tu fiches? Je t’ai demandé mes boutons de manchettes! Mais je n’entends pas quand tu cries du salon! Monte me répondre.

 

Et il sautillait en caleçon en essayant d’enfiler son costume.

 

_ Didine! Tu sais si la femme de ménage a repassé ma chemise Dior blanche à fins liserés?

_ …

_ Non, je ne t’entends pas Didine, je te l’ai déjà dit. Monte me parler! Jamais nous ne serons prêts à temps.

_ …

_ Didine, Didine, cravate ou nœud papillon? Eh, j’ai besoin de toi moi!

“Bon, ben puisque je dois me débrouiller tout seul, ce sera la chemise Ralph Lauren, je l’ai sous la main. Mince, je l’avais à l’instant. Ce n’est pas vrai, voilà qu’elle a disparu. Ah la voilà!

_ Didine, tu ne m’as pas répondu: cravate ou nœud pap?

Au moment où il s’apprêtait à enfiler ses mocassins, la sonnerie de la porte d’entrée retentit.

_ Didine, va ouvrir, je suis encore en train de m’habiller.

 

Il s’affala sur le lit pour enfiler ses chaussures.

“Trop serrées, soupira-t-il, je vais encore souffrir toute la soirée.”

Mais la sonnerie continuait à retentir.

 

_ Didine, tu pourrais aller ouvrir quand même, tu vois bien que je suis occupé.

 

La sonnerie retentit une troisième fois.

_ Jésus Marie Joseph! C’est bien le moment!

Il descendit en costume dans ses souliers trop serrés, tenant à la main une cravate et un nœud papillon.

Il ouvrit la porte et se trouva presque nez à nez avec une toute jeune fille qui semblait apeurée.

 

_ Didine, hurla-t-il, tu as commandé une baby sitter? Je croyais que les enfants étaient assez grands pour se débrouiller tout seuls.

Puis il se tourna vers la jeune fille:

_ Ben entrez, ma femme ne va pas tarder à vous recevoir. Mais vous avez déjà gardé Anatole et Clémentine?

La jeune fille bredouilla:

_ Je ne suis pas la baby sitter.

_ Mais qui êtes-vous si vous n’êtes pas la baby sitter?

Un frisson d’affolement passa sur le visage de la jeune intruse. Elle faillit faire demi-tour puis se ravisa en prenant son courage à deux mains.

 

_ Vous êtes bien Philippe Charlier?

_ Oui bien sûr, que me voulez-vous? Je vous préviens, je n’ai pas le temps, vous tombez mal.

 

Il se rendit compte tout à coup que la jeune fille tenait quelque chose dans la main qu’elle triturait depuis le début. Elle lui tendit ce qu’il identifia comme une photo.

 

_ C’est bien vous sur la photo, n’est-ce pas?

 

Philippe eut l’impression de recevoir un coup de poing dans le ventre. Il venait de se reconnaître aux côtés de Camille, son amour de jeunesse, pendant leurs vacances en Italie quelques vingt ans auparavant.

 

_ Où avez-vous eu cette photo, jeune demoiselle?

 

Mais elle ne répondit pas et continua à questionner:

_ Vous reconnaissez la jeune femme sur la photo?

 

Bien sûr qu’il la reconnaissait. Il n’avait jamais oublié Camille. Il n’avait jamais compris pourquoi elle avait rompu si brusquement. Il ne s’en était jamais remis tout à fait et le visage de sa bien-aimée revenait hanter régulièrement ses nuits.

La conversation avec cette inconnue devenait de plus en plus étrange.

 

_ Cette femme-là est ma mère, énonça la jeune fille livide.

Les pensées s’agitaient en tous sens dans la boite crânienne de Philippe s’entrechoquant avec fracas.

 

“Non, ce n’est pas possible, ce n’est pas possible…”

 

Soudain la porte du salon s’ouvrit à la volée:

 

_ Philippe, qu’est-ce que tu fais, tu vois bien qu’on est en retard. Tu n’es même pas prêt. Mais qui est cette jeune personne?

 

Mais Nadine vit avec horreur son mari enlacer la jeune fille, les mains toujours occupées par sa cravate et son nœud papillon.

 

_ Non, Didine, ce n’est pas ce que tu crois, cria-t-il à sa femme.

Comment t’appelles-tu? murmura-t-il à celle qui était de moins en moins une inconnue.

_ Amandine, souffla-t-elle dans ses larmes.

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